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LE BIEN-ETRE ANIMAL

Conscience des espèces et espèces de conscience... 

Ces dernières années, une certaine forme de militantisme en faveur de la cause animale s’est développée et notamment en Europe. Aujourd’hui, des associations telles que L214 ou 269life incarnent les figures de proue de ce mouvement. Cependant, contrairement à ce qu’il serait possible de croire en première analyse, il n’est pas possible d’imputer à cette récente impulsion militante la primauté des modifications des pratiques alimentaires ni même la prise en compte du bien-être animal.

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Le bien-être animal : de l’Histoire ancienne ?

 

Plutarque (46 - 125), un érudit célèbre de la Rome Antique, questionnait déjà il y a près de deux mille ans la croyance dans le droit naturel des hommes à disposer des autres animaux comme source de nourriture. Il s’exprimait ainsi : « nous, civilisés, nous qui vivons sur une terre cultivée, riche, abondante, nous n'avons aucune raison de tuer pour manger »[1]. Un présupposé tenace suggère que l’homme a toujours consommé de la viande mais qu’en outre il en a toujours eu besoin (et en aurait encore besoin aujourd’hui). Or de façon très générale, nous savons que la consommation de viande à travers le monde et à travers l’Histoire n’est ni homogène ni en augmentation stable et continue. Toutefois, la prise en compte du bien-être animal n’est pas systématiquement la raison centrale de ces modes de consommation (la question des inégalités sociales, entre autres, est très importante). En France, l’un des tournants majeurs dans l’Histoire de la cause animale survient en 1845 avec la création de la Société Protectrice des Animaux (SPA) qui fait suite à la création en 1824 en Angleterre de la Société pour la Prévention de la Cruauté envers les Animaux. Mais dans un cas comme dans l’autre, ces associations n’avaient pour ambition que de combattre les abus et les violences volontaires et inutiles des hommes sur les animaux et ne mettaient pas en question le primat de l’Homme sur le règne animal (et de toutes les conditions d’exploitation que cela suppose). Or, c’est la contestation de cette dernière clause qui va être au centre des luttes actuelles et qui servira de fondement au développement de l’antispécisme.

 

L’antispécisme : un tournant pour la cause animale

 

L’antispécisme désigne avant tout un point de vue moral qui consiste à ne faire aucune hiérarchie de principe entre les animaux (et autres êtres sensibles qui composent le vivant) en fonction de leur espèce. L’enjeu politique qui en découle est donc d’affirmer que non seulement tout animal est un être doué de sensibilité et que son exploitation par l’humain est une souffrance mais qu’en outre il faut refuser à l’humain de se prévaloir d’un droit « naturel » à disposer des autres espèces animales. L’un des premiers exemples de discours antispécistes en France est probablement celui de Jean Meslier (1664 – 1729), qui, s’il est surtout connu pour être l’un des précurseurs de l’athéisme et de l’anticléricalisme, s’exprimait par ces mots à l’égard des animaux : «  C'est une cruauté et une barbarie de tuer, d'assommer, et d'égorger, comme on fait, des animaux qui ne font point de mal, car ils sont sensibles au mal et à la douleur aussi bien que nous, malgré ce qu'en disent vainement, faussement, et ridiculement nos nouveaux cartésiens, qui les regardent comme de pures machines sans âmes et sans sentiments aucuns »[2]. Il faudra néanmoins attendre les années 1970 pour que les termes de « spécisme » puis « d’antispécisme » soient écrits pour la première fois sous la plume du psychologue Richard D. Ryder. L’intérêt de cet apport lexical est qu’il replace l’humain au sein du règne animal en rappelant qu’il y a un non-sens biologique à parler d’espèce « supérieure » ou même de simplement classer les espèces selon une échelle de valeurs.

La concurrence des consciences

 

Sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, il faut préciser que l’antispécisme n’englobe pas la totalité des mouvements qui se soucient du bien-être animal. Par exemple, s’il est difficile de faire rentrer les partisans du welfarisme dans la catégorie des antispécistes dans la mesure où ils ne rejettent pas le principe de l’exploitation des animaux non-humains par les humains, le bien-être animal demeure au cœur de leurs revendications. Pour le dire simplement, le welfarisme consiste en la promotion d’un élevage et d’un abatage éthiques et respectueux autant que possible des animaux. Ce mouvement est ainsi assez proche de celui qui avait abouti à la création de la SPA mais il s’oppose à l’abolitionnisme, lequel recommande purement et simplement l’arrêt de toute forme d’exploitation de quelque animal que ce soit. Les animalistes, qui se revendiquent de l’abolitionnisme, se décrivent plus aisément comme des militants pour le droit des animaux que pour le bien-être animal (qui pourrait insidieusement laisser entendre que l’on ne quitte pas l’exploitation des animaux non-humains)[4].

En somme, le bien-être animal s’inscrit dans divers courants de pensée, parfois contradictoires, et dans diverses époques mais il existe un point de tangence vers lequel convergent les luttes : l’exigence de ne plus considérer les animaux non humains comme des coquilles vides dénuées de toute sensibilité. Puis, se soucier du bien-être animal implique de fait, sémantiquement parlant, de se soucier de l’humain.

[1] Plutarque, Manger la Chair – Traité sur les Animaux

[2] Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier [1719-1729], preuve 3, in Œuvres complètes, éditions Anthropos, 1970-1972, t I, p. 210-218, cité par Jeangène Vilmer (J.-B.), (dir.), Anthologie d'éthique animale : apologies des bêtes, PUF, 2011, p.51.

[3] http://www.la-carotte-masquee.com/welfarisme-abolitionnisme/

[4] http://www.la-carotte-masquee.com/welfarisme-abolitionnisme/

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