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L’INSTITUTIONNALISATION DE L’ALIMENTATION

Action publique et alimentation en France 

L’alimentation fait l’objet d’un véritable programme d’action publique depuis le tournant des années 2000, en France. En effet, la crise de la vache folle apparaît pour de nombreux sociologues comme un tournant dans la compréhension de l’évolution des pratiques alimentaires : cette crise sanitaire et alimentaire, qui éclate en 1996, est le produit mais également le producteur de nouvelles préoccupations des mangeurs tels que le bien être animal, l’impact environnemental de nos consommations quotidienne, le rôle des industries alimentaires... Ajouté à cela, le constat de l’augmentation de certaines maladies chroniques (telles que l’obésité) qui fait jour au tournant du XXIème siècle. Ces deux facteurs, entre autres, permettent de comprendre les causes de la mise à l’agenda politique de l’alimentation. L’alimentation devient un enjeu de santé publique : elle s’institutionnalise.

La “nutritionalisation” de l’alimentation

 

L’institutionnalisation de l’alimentation s’incarne principalement dans la création du programme national nutrition santé (dit PNNS) en 2001, à la suite des premiers Etats généraux de l’alimentation en 2000. Ce programme, chargé de proposer des recommandations alimentaires (fondées sur des études nutritionnelles), est porté par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (dite ANSES). Il est notamment applicable à tout service de restauration collective (cantines scolaires, professionnelles…) et est relayé par les professionnels de la santé (nutritionnistes, diététiciens, médecins…).

Vers une “végétarisation” de l’alimentation ?

 

Le PNNS a néanmoins connu une période agitée en ce début d’année 2017 : en effet, au vu des résultats de l’étude INCA 3 (étude individuelle nationale des consommations alimentaires), porté par l’ANSES, l’annonce a été faite d’un possible renouvellement des recommandations qui couraient jusqu’à présent. Ce renouvellement induirait :

  • l’introduction de nouvelles catégories d’aliments, telles que les légumineuses ou les fruits à coque sans sel ajouté,

  • la modification de certaines : la catégorie “viande, poisson et oeufs” se trouvant alors distinguée entre “viande et volaille”, “poisson et fruits de mer”, et “charcuterie”

  • l’évolution des recommandations, telles que la diminution de la consommation de viande rouge, celle de charcuterie, ou encore celle des produits laitiers

La “végétarisation” de l’alimentation (LAMINE, 2008) désigne un mouvement de modification des contenus alimentaires accordant une plus grande place aux produits d’origine végétale, soutenue par des discours scientifiques et des programmes de politiques publiques. L’évolution du PNNS prouve bien cette évolution des comportements alimentaires en France : les pouvoirs publics font valoir de nouveaux régimes alimentaires, même si ceux-ci seraient plus de l’ordre d’un rééquilibrage (pour atteindre l’égalité entre produits d’origine végétale et produits d’origine animale) que d’une totale substitution.

Le PNNS, un programme non consensuel

 

Ces possibles nouvelles recommandations sont accueillies de façon très variée. Si la presse en ligne est  le premier relai de ces informations, ces dernières ne sont toutefois pas présentées de façon exhaustive. Biais inhérents au travail journalistique ou lobbying de certains agro-industriels ? En effet, si ces nouvelles recommandations font le bonheur des industriels du végétal (tel que Bonduelle), elles ne contentent pas forcément les industriels de la viande : dans les deux cas, ces positions des agro-industriels trouvent leur relais dans la presse. 

… des doutes peut-être à juste titre ! En effet, si le PNNS est modifié à l’avenir, on peut questionner les effectives adoption et application de ces nouvelles recommandations : d’une part, l’étude des carrières professionnelles du comité en charge du rapport du PNNS montre une certaine proximité avec les industriels de la viande et du lait; d’autre part, l'appropriation de ces recommandations par les mangeurs est une variable déterminante du succès ou de l’échec du PNNS (or de nombreuses études montrent que le PNNS a eu pour effet par le passé d'accroître les inégalités sociales de santé, en ne s’adressant au final qu’à des classes de populations aisées tandis qu’une majorité de la population restait en dehors du champ d’influence du programme).

L’objectif de ce programme est d’améliorer l’état de santé de la population en agissant sur la nutrition : par catégorie d’aliments (produits laitiers, viandes et poissons, sucre, sel, etc…) le PNNS recommande des quantités et fréquences de consommations de certains aliments, considérant l’apport nutritionnel recommandé. Cette porte d’entrée par la nutrition est forte de sens : l’alimentation procède d’une “nutritionalisation” (définie par POULAIN comme “l’extension d’une forme de rationalité du choix alimentaire fondée sur les sciences nutritionnelles et orientée vers la finalité santé”). Le PNNS est donc aujourd’hui en France un des principaux outils d’action publique, à la frontière entre la nutrition et la santé (de par les recommandations proposées et les objectifs affichés), et des considérations agricoles et environnementales (de par les acteurs qui le pilotent).

Certaines fédérations de professionnels ont rédigé des communiqués de presse : la Fédération professionnelle représentative des industries charcutières, traiteurs et transformatrices de viandes (FICT) explique par exemple que la charcuterie actuellement produite est de bien meilleure qualité (car moins grasse et moins salée) que celles d’avant, ce que les potentielles nouvelles recommandations ne prennent pas en compte. Ce communiqué de presse se trouve relayé par certains médias locaux. Ces évolutions de recommandations ne sont parfois même pas évoquées : c’est le cas du Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière (CNIEL) qui continue de promouvoir la consommation de 3 produits laitiers par jour (alors que le PNNS a revu ces recommandations à la baisse).

Parmi les nutritionnistes également, ce nouveau programme est source de discorde : parmi les deux professionnels de santé interrogés, l’un voyait ces nouvelles recommandations comme le point d’orgue d’un renouvellement des politiques de santé publique, tandis que l’autre doutait sérieusement des possibilités réelles d’application de celles-ci.

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